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cinquième volume 1926-1931

Vous avez eu bien raison de mettre en évidence la rudesse héroïque d’une vie comme la sienne. Les catholiques sont trop enclins à vouloir la sainteté commode, la sainteté au rabais.

Je suis très touché et un peu confus de l’honneur que vous m’avez fait en me citant. J’ai pour cette admirable Sainte une vive dévotion ; et je ne l’ai jamais priée sans être exaucé ; mais je ne mérite point d’être mêlé à son histoire.

Plus tard, de retour au Canada, je lui ferai encore hommage de mes Orientations. Comme il arrive en l’âme de tous ces absolus, l’homme n’avait pas vieilli sans tourner de plus en plus à l’amertume. Le spectacle de son temps, de son pays, surtout vers les années 1936, l’inclinait au dégoût apocalyptique. Il me répondait :

Le souvenir de votre bienveillance est un de ceux qui m’accompagnent dans les difficultés des temps de malédiction qu’il nous faut et qu’il nous faudra franchir… Que sera-t-il ce printemps de 1936 ? Prions pour que le cataclysme attendu tarde encore.

À ce moment il écrivait une vie d’Henry de Groux, peintre breton d’origine, mais né en Belgique et dont la vie, m’écrira-t-il, aura été un drame étrange et complexe, surtout douloureux. Cette vie tragique, de haute couleur, ne pouvait que plaire à Baumann. Ce Henry de Groux avait d’ailleurs été son beau-père ; il avait épousé sa fille. L’écrivain était pourtant capable d’aborder d’autres sujets. Ses romans en témoignent où ne manquent point les héroïnes presque raciniennes. De cet aspect du talent de Baumann, j’eus la preuve manifeste l’après-midi du 22 février 1931. Accompagné des amis Lauvrière, lui et madame, nous nous rendions à Garches, avenue Alphonse de Neuville, où résidait le romancier. Après le déjeuner, la réunion prit tout de suite la tournure académique. Baumann était alors plein d’un sujet d’où sortirait un livre qui parut, en effet, la même année, chez Grasset, et atteignit presque tout de suite une 24e édition : Marie-Antoinette et Axel Fersen, histoire quelque peu romancée des relations de la reine de France avec son ami ou son amant, l’officier suédois. Baumann entreprit de nous lire de longs chapitres de l’ouvrage en préparation. Il lisait bien. Ce fut un régal. Parfois l’auteur s’arrêtait pour indiquer certaines corrections de forme qu’il avait faites ou qu’il faudrait faire. Et nous assistions au travail de style d’un écrivain qui connaissait son métier. À d’autres moments, le lec-