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septième volume 1940-1950

m’amena à me poser bien des questions sur les motifs peut-être secrets de la querelle. Il entre souvent tant d’inconscience dans les actes de l’homme le plus conscient.

On aperçoit l’embarras du convalescent, réfugié à sa maison de campagne, à Woodland. M. Raymond n’aura-t-il pas sous-estimé lui-même le prestige de l’ancien trio québécois ? Il hésite, je m’en souviens, à remettre la direction de son mouvement entre les mains d’hommes qui ont déjà subi tant d’échecs politiques. Duplessis les a roulés ; pour se reprendre, ils ont tenté la fondation d’un parti dit « national » ; la tentative a échoué. Retiré à Woodland, le chef du Bloc suit, comme il peut, les phases de cette querelle, lit les longues lettres chargées des doléances des deux camps. Sa santé, encore mal rétablie, l’empêche de voyager, de se rendre sur place, de se renseigner à bonnes sources. Un voyage à Québec, je l’ai toujours pensé, lui aurait révélé le prestige d’Hamel, de Chaloult, prestige resté grand, dans la province, malgré les mésaventures de ces deux hommes. Pendant ce temps, Gouin, pressé de se mettre en évidence, exigeait qu’on l’instituât premier lieutenant de M. Raymond dans Montréal ; le Dr Hamel exigeait le même poste dans la région de Québec. Autant inviter le chef à se séparer d’Édouard Lacroix. Mais jeter Lacroix hors des rangs, geste coûteux que Maxime Raymond se sent incapable de poser. En tout cas, il entend qu’on lui fournisse d’autres motifs que des antipathies de personnes. Il croit à l’aide nécessaire de Lacroix pour financer un parti sans ressources ; il croit aussi à la sincérité du nationalisme de son ancien collègue d’Ottawa qui ne l’a suivi qu’aux dépens de ses intérêts d’industriel. Ainsi va-t-on retourner cette question presque insoluble où les esprits ne peuvent que s’aigrir chaque jour davantage et les passions s’envenimer. De part et d’autre l’on en viendra aux ultimatums, à la rupture.

Mon amitié pour tous ces hommes, ma participation quoique modeste à la naissance du Bloc m’auront fait le confident des uns et des autres et, même entre les deux groupes, presque un agent de liaison. Rôle, je l’avoue, qui me répugne instinctivement, mais à quoi je me prête trop volontiers. J’espérais tant de ce mouvement qui aurait pu être enfin une renaissance au Canada français, espoir, rêve suprême de toute ma vie. Un incident précipite