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mes mémoires

soudain la crise. À l’été de 1943, deux élections, aux Communes, ont lieu dans la province, l’une dans le comté de Cartier à Montréal, l’autre dans Stanstead. Le Bloc y fera-t-il la lutte ? M. Raymond, quoique impuissant à y prendre sa part, décide d’y envoyer ses troupes. On se battra surtout dans Stanstead. Et les « protestataires » Gouin, Hamel et Chaloult, quelle conduite sera la leur ? Resteront-ils inébranlables dans leur obstination ? Gouin et Chaloult me rendent visite. Le premier me reproche mon peu de connaissance des mœurs politiques. « Lacroix, me dit-il, détient la caisse ; donc il est le maître. » Chaloult, lui, plus qu’ébranlé, me confie : « Si je ne devais tant au Dr Hamel, j’irais me battre dans Stanstead. » À lui comme à Gouin, je dis : « Vous me demandez conseil ; votre avenir politique m’intéresse. Voulez-vous tuer le Bloc et vous tuer vous-mêmes politiquement ? Vous choisissez la bonne méthode. Vous tablez sur une défaite du Bloc dans Stanstead, mais s’il allait l’emporter ?… Que deviendriez-vous ?… » Citerai-je ici une lettre que j’écris, le 5 août 1943, à René Chaloult ? Elle exprime, ce me semble, au plus juste, les sentiments qui m’animent à l’heure critique de cette querelle :

Vaudreuil, 5 août 1943

Cher monsieur Chaloult,

Vous ne m’en voudrez pas si je me dérobe à toute nouvelle intervention auprès de Monsieur Raymond. J’ai déjà trop ennuyé cet homme. Laissez-moi vous dire, néanmoins, que je trouve bien inopportun, votre projet de dénoncer Monsieur Lacroix après l’élection de Stanstead. Si le candidat du Bloc est vaincu, vous vous donnerez l’air, devant le public, d’accabler un chef malheureux, puisque votre dénonciation atteindra, que vous le vouliez ou non, Monsieur Raymond. Si le candidat est vainqueur, on dira que vous cédez à un mouvement de dépit. L’effet serait autre si vous aviez participé à la bataille et si votre candidat avait été défait. Vous auriez pu vous en prendre, en ce cas, à l’influence funeste de Monsieur Lacroix, influence qui aurait tué la confiance du public dans le nouveau mouvement.

Si vous faites votre dénonciation, laissez-moi également vous le dire, je doute que Monsieur Raymond se porte à la défense de Monsieur Lacroix. Il se portera à sa propre défense et vous