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mes mémoires

leurs pratiquement supprimé l’Association catholique de la Jeunesse canadienne-française. D’elle on a voulu faire une sorte de faîte ou de clef de voûte de l’Action catholique. Mais on ne tarde pas à se raviser. Toute une jeunesse, quoique catholique, reste à l’écart de l’Action catholique. Néanmoins, faute de cadres ou d’organismes où se grouper, cette jeunesse menace de devenir inquiétante. On décide donc de renvoyer l’ACJC à son ancien rôle. Hélas ! elle n’est plus qu’un squelette, presque un cadavre à qui l’on consent le droit de vivre. Pauvre ACJC, devenue AJC, elle cherche encore, après un quart de siècle, sa formule de vie. Elle vient même de mourir. Pendant ce temps-là l’Action catholique a continué de tenir toute la place ou peu s’en faut, dans les écoles, les collèges, les couvents, les universités. Étrange Action catholique qui, par la faute d’aumôniers, braves gens, mais de formation religieuse et intellectuelle insuffisante, s’efforcera d’inculquer à la jeunesse un catholicisme irréel, une sorte d’angélisme, sans prise valable sur l’humain, sur le temporel. Un catholicisme d’astrologue, entre terre et nuages, où l’on se révèle impuissant à saisir la vigoureuse intégrité qu’implique de soi la définition même de l’éducation catholique. Faire la synthèse du surnaturel et du temporel, du religieux et du profane, saisir les valeurs humaines du culturel et du national, effort qui dépasse l’intelligence des nouveaux directeurs de la jeunesse, élevés, du reste, dans le plus profond mépris de toutes les valeurs nationales. Un aumônier, et non l’un des moindres, s’en ira par les collèges, ce mirifique propos à la bouche : « Nous ferons pratiquer à notre jeunesse un catholicisme pur, débarrassé de l’infection du nationalisme. » Le résultat, qui ne l’entrevoit ? Nul ne s’essaie impunément à faire l’ange. De cette école sortira une et même deux générations de jeunes déracinés, espèce d’hommes, comme l’on sait, la plus dangereuse qui soit. Ces jeunes gens ne parleront que d’Église universelle, comme si leur Église ne faisait point partie de l’Église universelle ; cette Église, ils oublieront même qu’il fallait d’abord la servir, la défendre, se vouer à son épanouissement en leur pays. À un groupe d’entre eux je dirai un jour : « Sans doute, catholiques, nous appartenons, de par tout notre être, à l’Église universelle. Et il faut toujours prier, travailler, ayant dans l’esprit la grande Institution, sans pourtant jamais oublier que cette Église universelle s’incarne partout, même en Italie, même à Rome, en