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septième volume 1940-1950

découvrent des richesses insoupçonnées. Je puis donc le dire carrément aujourd’hui : L’Histoire m’attire, comme une vocation véritable. » Pourtant, en mai 1938, je le sens inquiet. Il m’écrit, pour cette fois : « Plus j’approche de la fin — vous savez que tous mes examens seront une affaire bâclée le 14 mai — plus je m’inquiète de l’avenir… Je ne connais donc aucunement mon avenir, ni lointain, ni prochain… » Il souhaiterait une bourse d’études en Europe ; sur ce point, peu de nouvelles du gouvernement de Québec, peu du gouvernement français. À ce moment il paraît hésitant. Choisira-t-il l’histoire ou la littérature ? À l’Université, ceux qui ont remarqué son talent le voudraient pousser vers l’École normale supérieure de Paris. Il serait le premier Canadien français à s’en faire ouvrir les portes. Un jour, ce jeune homme bouillant d’activité me tient ce propos : « L’Histoire m’attire ; mais parfois j’ai peur de la vie de bénédictin qu’est la vôtre. Je me sens né plutôt pour l’action extérieure, de plein air, et la littérature, je le pense, m’ouvre un plus vaste champ. » À la revue « Bleu et Or » des étudiants de l’Université, il a fait jouer une petite comédie en deux ou trois actes, intitulée, autant que je me souviens : La Famille moderne. Histoire d’une famille campagnarde transportée d’un bloc dans Montréal et que la grand-ville désagrège affreusement. Comédie d’une criante vérité, comique et tragique, et fort bien charpentée. À sa demande expresse, j’ai voulu assister à l’une des représentations. Édouard Montpetit disait à la sortie : « Un vrai petit chef-d’œuvre ! » Pourtant, en ce même printemps de 1938, il accepte de prononcer à la radio, à Ottawa, une causerie sur le sujet suivant : « M. Groulx et son œuvre ». Il vient chercher chez moi quelques détails biographiques ; il se plonge dans mes ouvrages. Et le voilà regagné à l’Histoire, ainsi que me le prouve cet extrait d’une lettre du 4 juillet 1938 : « Vous avez lu ma petite causerie. Vous n’en semblez pas trop mécontent… Pour ma part je ne suis pas satisfait tant de mon texte que des lumières dont il m’a ébloui, lumières sur votre œuvre, et lumière peut-être, sur ma vocation. Franchement, cette brève incursion parmi les documents m’a donné le goût des véritables recherches historiques. Au lieu de cette espèce d’odeur moisie, funèbre, dont je redoutais les effluves léthargiques, on rencontre de la vie, dans les archives, de la vie, de l’action, de l’humain. »