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mes mémoires

Il partirait pour l’École normale supérieure de Paris. Il s’y abîmerait de travail. Au cours de ses vacances de Pâques, il entreprendrait son petit tour de France à bicyclette ; il s’y fatiguera le cœur. À l’automne, on le ramènera au Canada, épuisé, brûlé. Ce sera, après quelques semaines, hélas, la mort de ce jeune homme qui emportera avec lui, de si hautes espérances.

Sur ce, Mgr Georges Gauthier me propose un troisième candidat, l’abbé Wilfrid Morin, récemment de retour de Paris et qui vient d’y publier Nos droits à l’indépendance politique, thèse de doctorat ès lettres. Mgr Gauthier me dit : « L’abbé Morin a étudié cinq ans là-bas. Il doit y avoir appris à travailler. Il prépare un ouvrage sur Maisonneuve. Voulez-vous le guider dans ce travail ? À la fin de l’année, si vous le jugez apte à prendre votre succession, je m’en rapporterai à votre jugement. En attendant, je vais m’efforcer de lui trouver un emploi temporaire. » À quelques jours de là, l’abbé Morin m’apprend sa nomination de professeur d’histoire du Canada au Petit Séminaire de Montréal. Il me paraît décontenancé. Cette nomination l’humilie. Il la refuse. Il va de soi que je ne pouvais le mettre au courant des propos de Mgr Gauthier. Je ne pouvais lui avouer que j’étais chargé de le surveiller. Je m’efforce pourtant de remonter ce M. Morin. Je lui dis : « C’est un pied dans l’étrier ; vous aurez plus de temps pour la préparation de votre Maisonneuve… » Inutiles propos. J’ai beau lui offrir mes services en ces travaux, jamais plus je n’entendrai parler de l’abbé Morin. Il devait trouver la mort dans un terrible accident de voiture où succomberait Louis Francœur. À la fin de l’année universitaire, je fis mon rapport à Mgr Gauthier sur l’abbé dont je n’avais eu aucune nouvelle. Monseigneur se contenta de dire : « Le maladroit ! » Alors je présentai à Monseigneur mon quatrième candidat : Guy Frégault. « Très bien, me répondit l’Evêque ; occupez-vous de celui-là. » Je connais le jeune homme depuis 1937 ; en ce temps-là encore collégien, je crois, il rêve, avec quelques-uns de ses jeunes camarades, d’une « Révolution laurentienne ». Né dans l’est montréalais, d’un milieu pauvre, grand lecteur de Péguy, de Jacques Rivière, du Daniel--