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septième volume 1940-1950

Je viens de vous dénoncer mon illustre complice, et naturellement la plus coupable des deux.

Elle a voulu, ce soir, doubler son mécénat en m’offrant sa plus grande récompense : le prix Duvemay. Je sais la compétence de son jury. Je sais aussi que la très noble et très vénérable baronne Du Vernay marche sans béquilles et lit sans lunettes. Et certes, mon intention n’est pas de la féliciter de voir encore si clair à son âge et jusqu’à savoir choisir entre tant d’œuvres ; mais il me sera bien permis de lui adresser mon plus cordial merci pour son extrême et magnifique indulgence.

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On a souhaité qu’en cette circonstance je vous entretienne quelque peu de certains aspects de ma vie d’historien. On connaît l’œuvre, m’a-t-on dit ; parlez-nous plutôt de l’auteur, de quelques-uns au moins de ses rapports avec son œuvre d’histoire, parlez-nous des circonstances qui l’ont dirigé de ce côté. Que vous dirai-je, que je ne vous aie déjà dit et qui ne risque, par conséquent, d’être doublement banal ? C’est d’ailleurs m’obliger à vous parler du moi, haïssable pour tout le monde, mais qui l’est doublement pour les gens de mon métier. Ceux qui m’ont fait l’honneur de me lire, l’auront peut-être remarqué : j’interviens le moins possible avec le je ou le nous dans mes exposés ou explications historiques. Je ne dis jamais par exemple : notre histoire, notre pays, notre province, notre peuple, nos gens, notre race. Je dis l’histoire du Canada français, le Canada, la province de Québec, le peuple canadien-français, la race canadienne-française. Sans me dépouiller de toute sympathie pour mon sujet, estimant impossibilité psychologique l’absolue impassibilité, j’ai tenu toutefois, par tendance ou du moins par aspiration à la plus stricte objectivité, à m’efforcer d’écrire l’histoire des miens, comme le ferait un homme de l’extérieur qui refuserait de s’engager subjectivement.

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Mes premiers rapports ou contacts avec l’histoire du Canada, à titre de professeur ou d’écrivain d’histoire, remontent assez haut, à dix ans à tout le moins avant ma venue à l’Université Laval de Montréal. Quels motifs m’ont fait entreprendre, le 18 septembre 1905, pour mes rhétoriciens de Valleyfield, la rédaction d’un manuel d’Histoire du Canada que je devais terminer l’année suivante ? Pour quels motifs égale-