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septième volume 1940-1950

C’est dire que chez nous, comme ailleurs, le mal nous paraît d’abord dans l’esprit. Notre intention n’est pas de faire ici le procès de la foi canadienne. Essayons plutôt d’en saisir les faiblesses ou les périls. La foi catholique apporte des certitudes et une vie. Le malheur de nos compatriotes aura été, semble-t-il, d’avoir encaissé les certitudes et de faire bon marché de la vie. Et encore, dans les certitudes, aura-t-on moins cherché la possession solide et joyeuse de la vérité transcendante, de la vérité pleine et pure, que le confort bourgeois où l’on se dispense de l’inquiétude et de la recherche laborieuse.

Au Canada français, la foi n’est pas assez, dans la mesure où elle peut l’être, une conquête individuelle ; elle est par trop une vérité traditionnelle, un héritage de tout repos, transmis presque automatiquement. On ne s’explique pas d’autre façon la ferveur médiocre de nos étudiants et de nos étudiantes de collège ou d’université pour la doctrine religieuse, non plus que la tiédeur encore plus prononcée, pour ces mêmes études, de nos classes professionnelles et de notre intelligentzia. Dans ce monde où l’on se passionne facilement pour toute manifestation de l’esprit, il semble que l’on ne se sente ni saisi ni attiré, ne serait-ce que par la grandeur de l’architecture intellectuelle que représente la synthèse des dogmes catholiques. Il y a là un édifice impressionnant, une construction de génie, fruit des plus hautes intelligences humaines, et qui, à ce seul titre, eût si vivement ému, s’ils l’avaient pu entrevoir, des païens comme Platon ou Aristote, ou les plus modestes disciples de Socrate. La majestueuse construction n’émeut point nos beaux esprits pourtant élevés dans le culte de la scolastique.

Dans le peuple qui aime tant écouter parler, et qui écoute si souvent de si vides parleurs, tout aussi inexplicables l’indifférence grandissante envers la prédication des églises, la course aux messes les plus courtes, aux sermons les plus courts, la popularité des prédicateurs aux sermons en comprimés, et parfois les distances parcourues pour attraper les messes sans sermon. On parlera, tant que l’on voudra, de légèreté ou d’irréflexion. Une bourgeoisie, un peuple ne traitent point, avec cette désinvolture, une doctrine tenue pour essentielle et à qui l’on confère, dans son esprit et sa vie, une incontestable primauté.

Qui s’étonnera, dès lors, qu’une possession si incomplète et si superficielle de la vérité n’ait pu révéler les sources, les puissances de vie du catholicisme ? Que dis-je ? Entre certitude et vie comment saisir l’étroite relation ? Aussi est-il arrivé que,