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septième volume 1940-1950

sociétés ou des clubs dits « sociaux », dont la moindre malfaisance est d’afficher la neutralité religieuse. En l’espèce rien ne sert de se leurrer : le péché bourgeois n’est pas moins grave que le péché ouvrier.

Chacun peut d’ailleurs mesurer les conséquences du divorce entre la doctrine et la vie : dédoublements de conscience, dissonances trop fréquentes et complètes entre la vie privée et la vie publique ; existences de catholiques qui se déroulent pareilles presque en tout à des existences d’incroyants ou d’agnostiques ; mœurs de chrétiens qui ne font que reproduire le paganisme ambiant. Le catholique incline à devenir dans le monde, un sel affadi. Le rôle exceptionnel que lui confèrent son caractère de baptisé, son appartenance à l’Église, on pourrait croire qu’il n’en veut plus ou ne s’en soucie guère. Et de prétentieux docteurs pourront même affirmer qu’une race catholique n’a pas plus de mission qu’une autre.

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Dans ce diagnostic moral, je ne relève, faut-il le répéter, que les déficiences. Et ces déficiences, bien d’autres catholiques les pourraient partager avec nous. Le clergé y cherchera quand même loyalement sa part de responsabilités. Il doit être plus que le sel incorruptible. Le peuple fidèle attend de lui qu’il soit le ferment au sein de la pâte, la cellule vivante qui travaille énergiquement la masse. Sa tâche ne s’arrête pas à empêcher ou à circonscrire la corruption humaine. On exige qu’il soit un semeur de vie, et que, pour semer la vie, il la porte en lui. Sa prédication, toujours la même en sa substance, il la voudra renouveler dans la forme, l’adapter si exactement aux besoins, aux exigences de l’âme contemporaine, lui donner un tel sens de l’actualité qu’elle atteigne à un empire irrésistible sur les auditoires chrétiens. Peut-être faudrait-il une prédication pour l’élite, de vrais carêmes de Notre-Dame, où la parole de Dieu, solide, éloquente sans doute, prendrait la couleur, l’accent de chez nous, foncerait droit sur nos problèmes et nos misères à nous, pour les embrasser, les saisir corps à corps, apaiser nos doutes et nos fièvres. Peut-être aussi faudra-t-il créer ce que l’on a déjà appelé un « nouveau style » de vie religieuse, faire un effort continu vers la beauté dans le chant, la musique, l’architecture, la parure des temples, ne rien négliger, en somme, de ce qui peut accroître les prises de la foi sur l’homme. Car enfin il n’y a pas de raisons pour que des catholiques s’en-