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Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/213

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mes mémoires

nuient à l’église, pas plus qu’il n’y a de raisons pour certains offices, d’être nécessairement ennuyeux.

Insisterons-nous pour que le peuple catholique retrouve surtout le sens de la vie, la notion de la vie chrétienne ? Si haut que soit l’idéal de vie qu’on lui propose, sait-il assez que des moyens proportionnés existent de l’atteindre ? Sait-il que le Christ, cause exemplaire de la perfection chrétienne, en est aussi, comme disent les théologiens, la cause efficiente, c’est-à-dire, en d’autres termes, que celui-là qui assigne l’idéal à conquérir est aussi celui qui peut y porter de sa main toute-puissante ? Alors que, dans la misère contemporaine, l’on parle tant de la dégradation du type humain, comme il importe de faire voir, en toute sa beauté et grandeur, le type chrétien : l’homme rectifié dans son être et ses facultés, dans sa structure morale et intellectuelle, plus que décuplé en ses énergies natives, atteignant à une plénitude de vie inespérée qui est littéralement l’aube de la vie de l’au-delà dans la possession de Dieu.

Vie chrétienne ! Vie qui produit les grands vivants, les personnalités puissantes, riches en capacités créatrices ; qui peut faire, du plus modeste, du plus petit des hommes, un héros de volonté ; vie que l’on peut vivre enfant, adolescent, aussi pleinement que jeune homme ou homme fait, où il n’y a coupure ni entre les âges, ni entre les actes de l’existence. Vie aussi puissante dans le corps social que dans l’individu, qui pourrait régler la société, les États comme elle règle l’homme, qui y introduirait l’esprit de fraternité, l’esprit de justice, la paix tant cherchée et si peu trouvée, parce qu’on la cherche où elle n’est point.

Puissent enfin les catholiques de chez nous retrouver le sens de l’histoire telle qu’elle se déroule depuis deux mille ans. Ils ne savent pas ou savent trop peu dans quel drame transcendant ils sont engagés. Ont-ils appris à voir, dans l’Incarnation du Verbe, la suprême tentative de Dieu pour ressaisir le cours de l’histoire, redresser l’homme, redresser la ligne d’une civilisation criminellement fracassée par le premier chef de l’humanité ? Et pourtant l’histoire du Christ, l’histoire de l’Église ont ce sens ou elles n’en ont point. Quel sera le sort de cette autre intervention de Dieu dans la vie du monde ? Finira-t-elle par un triomphe ou par un autre échec ? Notre univers était-il fatalement condamné à cette régression vers la barbarie, à ce crépuscule de civilisation vers lequel il semble qu’il s’en aille, tête baissée ? La réponse, Dieu l’a laissée à la liberté humaine. Mais qui voudra croire que le Fils de Dieu soit mort sur la croix pour une