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septième volume 1940-1950
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Cette parole, hélas, n’en restera pas là. Le soir même, M. Power téléphone le mot du Cardinal à son chef, M. MacKenzie King. Impérialiste camouflé, s’enroulant volontiers, selon l’heure et le profit, dans le drapeau nationaliste, le premier ministre canadien, au fond impérialiste à tous crins, brûle d’envie de jeter son pays dans la guerre. En bon protestant, parfaitement convaincu que le Québec en est toujours à la « ridden priest province », il se dit : « Si nous allions en guerre, le Québec serait avec nous, le Cardinal et son clergé en tête. » Le soir même, il convoque à son bureau son secrétaire aux Affaires étrangères, M. David O. Skelton, et lui dicte cette dépêche à Neville Chamberlain : « Si l’Angleterre entre en guerre, le Canada sera derrière elle. » M. Skelton n’envoie pas la dépêche. Le lendemain, il se rend chez le premier ministre et lui confesse : « Je ne sais pas si vous vous rendez compte que vous posez là l’acte le plus grave peut-être de votre vie politique. Et vous posez cet acte sans consulter un homme dont, en pareille circonstance, vous avez coutume de prendre avis, M. Ernest Lapointe. » Le premier ministre répond, le sourcil froncé : « Je ne puis consulter M. Lapointe ; il est à Genève, à la Société des Nations. — Mais vous pouvez lui téléphoner », hasarde M. Skelton. M. King accepte de téléphoner. M. Lapointe assiste, en effet, à Genève, à ce qui sera la dernière réunion de la Société des Nations ; et il a pour secrétaire M. Joseph Thorson, Finlandais, député de l’Ouest, nationaliste canadien, qui avait même accepté de participer à notre première célébration de l’indépendance canadienne et qui deviendra membre du cabinet King de 1941 à 1942. « Durant la conversation téléphonique, raconte M. Thorson, M. Lapointe devient stupéfait ; il me glisse même en aparté : “Je me demande s’il perd la tête.” Et M. Lapointe répond à son chef : “N’allez pas envoyer une dépêche de cette espèce ; ou dites au moins que vous consulterez le parlement.” Et Thorson de souffler à l’oreille de Lapointe : “Et dites-lui donc que si la proposition est soumise au parlement, moi, pour ma part, je voterai contre.” » M. King n’envoya point de dépêche. Mais, de retour au Canada, M. Thorson raconte toute