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mes mémoires

cette histoire à son ami M. Maxime Raymond, député de Bcauharnois, et lui dit :

— Ne connaissez-vous personne qui pourrait avertir votre Cardinal des effroyables conséquences que peuvent provoquer quelques-unes de ses paroles ?

— Oui, répond M. Raymond. Je connais quelqu’un.

Et c’est ainsi que mon ami Raymond m’arrive un jour, me raconte cet incident et me prie de porter le tout à Québec, à Son Éminence. J’hésite. Le Cardinal, il faut bien le dire, toujours charmant, amical pour moi, n’est plus tout à fait le même depuis son accession au cardinalat, au moins depuis quelque temps. Je le sens plus guindé, plus distant. Sur l’opportunité du voyage à Québec, je consulte M. l’abbé Philippe Perrier, bien au courant des mœurs de ces grands personnages. M. Perrier me dit, avec sa franchise coutumière : « Vous perdriez votre temps. » Donc, point de voyage. Quelques mois plus tard le Canada s’oriente visiblement vers la guerre. De passage à l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal, le Cardinal, abordé par quelques-uns de nos députés en quête d’une ligne de conduite, leur donne des réponses plutôt évasives. Je suis alors aux Archives d’Ottawa. Une lettre m’arrive de Montréal, me suppliant une fois de plus de mettre en garde Son Éminence contre une participation trop fervente de l’épiscopat à la guerre nouvelle : danger d’une crise d’anticléricalisme surtout dans les milieux de jeunesse. Que faire ? Cette fois, non plus, je n’ai envie de faire le voyage à Québec. La nuit porte conseil. J’attends au lendemain. Le lendemain, n’osant dicter à ma secrétaire, encore jeune, une lettre de cette nature, j’écris à la plume à Son Éminence, sans garder copie de ma lettre malheureusement. Je prends d’abord sur moi d’envoyer au Cardinal la lettre de nos deux amis de Montréal, bien que notée « personnelle » ; je prie mon correspondant de me renvoyer cette lettre, dont les signataires, je le sais, ne manqueront point de l’impressionner. Et alors, de la même plume, je lui fais part des instances multipliées auprès de moi, tout juste quelque six mois auparavant, pour lui porter certain message. Et, de fil en aiguille, je lui raconte l’incident Lapointe-King-Skelton-Thorson. Et je termine à peu près comme ceci : « Éminence, j’ai alors refusé de vous porter ce message. Si je me décide aujourd’hui à tout