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mes mémoires
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te communication avec l’extérieur sont interrompues. L’un des secrétaires vient à moi ; le Cardinal, m’apprend-il, prépare son carême. « Mais repassez donc dans une demi-heure ; j’ai quelque raison de penser qu’on sera très heureux de vous voir. » Une demi-heure plus tard, je suis dans le cabinet de travail du Cardinal. Il me reçoit en franche cordialité, comme aux anciens jours ; nous sommes à deux pas, presque en face l’un de l’autre. Pas un mot de l’incident Lapointe-King-Skelton-Thorson ne passe les lèvres de Son Éminence ; tout au plus une courte allusion à la lettre « personnelle » de mes correspondants de Montréal ; puis, appuyé sur le coin de son bureau de travail, et penché vers moi, il me dit, scandant bien ses mots : « Rassurez nos amis ; les politiciens ne me feront pas parler. Je l’ai dit l’autre jour à M. Power : la guerre, cela vous regarde, vous les politiques et les militaires. À nous, la prière pour le succès de nos armes, et si les circonstances l’imposent, rappeler peut-être à notre peuple, son devoir. » Sur quoi, M. Power lui aurait répondu : « J’en suis fort aise, Éminence, désormais quand on me pressera d’obtenir de vous une approbation de la politique de guerre du gouvernement, je pourrai répondre : “Il n’y a rien à espérer de ce côté-là.” — »

Le 15 septembre 1939 une lettre de Mgr Courchesne me laissait encore espérer que l’épiscopat ne bougerait point : « Je n’ai rencontré aucun évêque depuis la déclaration de guerre, m’écrit l’ami de Rimouski. Le ton du Devoir et de L’Action catholique m’a donné à penser que les deux archevêques avaient dû être approchés. Il y a visiblement le souci de laisser aux politiciens leurs responsabilités et de ne pas les couvrir du manteau de l’autorité ecclésiastique. Je crois donc que, s’il est question d’un document collectif à la suite de la prochaine réunion, ce document ne contiendra que des appels à la pénitence, à la prière, à la tempérance, au travail et à l’épargne. C’est du moins tout ce que je traite dans le diocèse et il faudra de gros arguments pour m’amener à signer d’autres déclarations. »

Hélas, mon entrevue de février 1940 devait être la dernière avec mon grand ami. Quelques mois plus tard, à la procession en plein air, à Québec, le soir de la fête du Sacré-Cœur, le Cardinal brûlait tous ses vaisseaux et lançait à la foule une sorte d’appel aux armes. Plusieurs, entre autres le Dr Philippe Hamel,