Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/274

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
260
mes mémoires

être ceci ; c’est peut-être cela. » C’est un homme qui pourra donner des directives.

Hélas ! le Délégué ne tardera pas à changer de sentiment. Un jour, en repos à Rimouski, chez Mgr Courchesne qu’il aimait beaucoup et chez qui, je l’ai dit, il allait chercher de temps à autre, un alibi, le Délégué en vint à parler de l’Archevêque de Montréal. Et c’est alors qu’il prononça cette parole terrible : « Mon suprême remords, c’est de l’avoir promu à Montréal ; et c’est un remords que j’emporterai dans la tombe ! » Parole effroyable qui annonce presque le suprême orage. Parole que je tiens de Mgr Courchesne ; parole que le Délégué répétera à Mgr Philippe Perrier. C’est à ce moment-là que j’avais dit à l’Archevêque de Rimouski : « Mais où donc se renseigne-t-il, le Délégué ? » Et je songeai au mémoire de Mgr Myrand et de l’intérimaire Mgr Mozzoni pour l’envoi de Mgr Charbonneau à Hearst. À la recherche d’un coadjuteur à Montréal, Mgr Antoniutti avait trouvé ce mémoire dans ses archives. Que n’avait-il poussé plus loin son enquête !

■ ■ ■

La question demeure : ces jugements du Délégué et de bien d’autres, jugements si profondément modifiés, retournés bout pour bout, où en trouver l’explication ? Où situer le secret profond de cette vie d’homme marqué pour la suprême infortune ? Une seule explication paraît valable : l’être étrange, anormal de Joseph Charbonneau. Le personnage a quelque chose de fermé, de clos, de cadenassé. La moindre ouverture sur son intimité lui causerait, semble-t-il, un mal atroce. Ce serait violer l’inviolable, profaner le Saint des Saints. Son ancien directeur de conscience au Séminaire de Sainte-Thérèse, mon camarade de classe, devenu curé de Saint-Henri (Montréal), l’abbé Sylvio Cloutier, me disait un jour de son dirigé : « Quel être impénétrable, fermé sur soi, bardé de fer comme un coffre-fort. Le temps venu, à la fin de son cours