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mes mémoires

vu arriver à Montréal, chacun de nous s’exclama : Mais non, Joe n’a pas assez de jugement pour un poste comme celui-là ! » Il donnait l’impression d’un homme presque constamment à bout de forces et de nerfs. Un arc trop bandé. Qui l’a vu une seule fois n’a pas oublié cette figure tendue, ces traits tirés, les yeux bordés au bas d’un liséré rouge, au point de les faire croire injectés de sang. À l’époque où mon bon ami et voisin d’en face, rue Bloomfield, Henri Groulx, alors ministre de la Jeunesse et du Bien-être social, reçoit fréquemment chez lui l’Archevêque, il m’invite le soir à passer de l’autre côté de la rue. J’y vais prendre le souper et veiller un peu. Chaque fois je ne puis m’empêcher d’observer l’extrême nervosité de l’hôte épiscopal, ses gestes saccadés, ses trop faciles emportements contre celui-ci ou celui-là. Quel mal à se contenir ! Quel volcan en mal d’éruption ! Chez un homme plus pondéré, ces subites indignations eussent déjà étonné. L’homme subissait par trop son tempérament. Où il croyait être généreux, il était surtout impulsif. De cette impulsivité procéderont, au cours de sa vie, tant d’erreurs de jugement, tant d’idées aventureuses où il va gauchir et gâcher son existence. Il donnerait, en ses dernières années à Montréal, un triste exemple de son manque de jugement. Le Père Georges-Henri Lévesque, o.p., vient d’amorcer, dans la revue Ensemble, la brûlante question de la non-confessionnalité dans les œuvres. L’article fait du bruit. Deux thèses s’affrontent. Sans doute, les catholiques canadiens-français ont-ils pour mission au Canada, d’être partout les témoins de leur foi et de se mêler à la vie canadienne, de ne se point enfermer dans leur provincialisme. D’autre part, se disent alors les prudents, nos institutions, nos structures se recommandent-elles d’assez de solidité et de maturité, pour s’ouvrir, sans danger, à des éléments hétérogènes, moins en état de les enrichir que de les appauvrir, pour ensuite, à la longue, les absorber ? Le problème mérite assurément réflexion. Il ne suffit pas d’être d’avant-garde pour être assuré d’avancement. La thèse de la non-confessionnalité est soumise au Délégué apostolique qui la soumet lui-même à l’École sociale populaire, laquelle, soit dit en passant, n’est point strictement jésuite ni ecclésiastique. On y trouve des laïcs. L’École juge la proposition du Père Lévesque prématurée, dangereuse. Le Père