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mes mémoires

grands devoirs et des grands appels ! Quoi de plus beau qu’une jeunesse qui vit hautement sa jeunesse !

De l’état d’âme de la jeunesse de l’époque un autre témoignage me viendrait presque aussitôt. Mise au courant de cette rencontre du 23 mars, une jeune fille me rendait visite. Elle me dit :

— Nous désirerions, nous aussi, comme nos amis, les étudiants de l’Université de Montréal, une journée d’étude sur le problème national canadien-français.

— Combien serez-vous ?

— Nous ferons un choix ; nous nous adresserons à des jeunes qui veulent agir ; mais en nombre nous dépasserons les garçons.

Elles vinrent cent vingt-cinq : jeunes filles du monde adonnées aux œuvres, élèves finissantes des couvents, demoiselles de l’enseignement secondaire. Je les reçus un dimanche après-midi, dans le grand parloir de l’Académie Saint-Louis-de-Gonzague, rue Sherbrooke, maison d’enseignement alors fort réputée. Ces demoiselles avaient insisté pour que je leur servisse les mêmes causeries, le même thème qu’à leurs amis de l’Université. Je modifiai légèrement quelques-uns de ces thèmes pour les adapter à mon auditoire féminin. Je leur dis entre autres choses :

Quant à vous, Mesdemoiselles, je ne vous interdis aucun service. C’est votre droit de prendre rang où vos talents vous permettent d’exceller. Souvenez-vous seulement qu’il n’y aura pas de restauration canadienne-française sans la Canadienne française, et qu’il faut que les femmes se mêlent de nos affaires, ne serait-ce que pour nous forcer à nous en mêler.

 

Vous garderez pourtant le meilleur de vous-mêmes pour le foyer, la famille. C’est votre royaume, aime-t-on dire. À parler vrai, on ne trouve plus ailleurs de vraies reines… Que ce royaume ne vous devienne pas une cage… Quelques succès ou quelques triomphes que vous réserve la vie, que votre première fierté soit vos enfants. Soyez plus fières de ces joyaux que vous ne le seriez du plus beau de vos poèmes si vous étiez poète, d’un chef-d’œuvre de peinture si vous étiez peintre… Restez femmes, leur ai-je répété. Vous n’aimez pas les hommes ni les garçons qui se féminisent… Pourquoi vous figurez-vous que les hommes