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Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/29

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septième volume 1940-1950

« je les livre à cette jeunesse, l’un des plus fiers témoignages qui me soient apparus dans ma vie ».

Qu’ai-je dit à cette jeunesse ? Je n’entreprendrai point de me résumer ; ce serait par trop me répéter. En réponse à ses questions, j’avais partagé ma causerie en deux parties : le malaise canadien-français, l’avenir ou le redressement. Malaise politique, malaise économique et social, malaise d’ordre culturel. Pour le redressement j’avais suivi le même ordre. Bien entendu mon diagnostic sévère jusqu’à l’extrême rigueur, dans l’énumération de nos faiblesses, se terminait par des promesses d’espoir. Je disais, par exemple :

L’un des étonnements de notre histoire, c’est bien que tant de sacrifices, tant d’héroïsmes additionnés n’aient produit, trop souvent, que l’espèce de Canadiens français que chacun connaît, d’une bonasserie sans borne, d’une aboulie sans nom, petits hommes qu’on dirait évadés de Lilliput. J’appelle le jour où l’on finira de croire que, pour faire un Canadien français, il suffise de démêler une poignée de farine dans un gallon d’eau. Une éducation totale, vivifiée par toutes les énergies du catholicisme, aurait vite raison de toutes nos faiblesses, de toutes nos misères. Ressaisis jusque dans le fond de l’âme, une puissance magnifique purifierait tous les compartiments de notre vie, guérirait tout, rectifierait tout. Nous reprendrions la figure et la mesure de notre vrai personnage.

À ces mêmes jeunes gens qui m’avaient demandé où principalement exceller, j’avais encore répondu :

En tout. Nous avons besoin : de grands politiques, de grands économistes, de grands avocats, de grands médecins, de grands ingénieurs, de grands écrivains, de grands poètes, de grands artistes, de grands philosophes, de grands théologiens, de grands saints.

Quel jour, en mes souvenirs, que ce dimanche du 23 mars 1941 ! Il y a quelque temps le hasard me faisait rencontrer un homme maintenant d’âge mûr qui, en sa vie d’étudiant, s’était trouvé de cette réunion. « Quelles heures inoubliables, me disait-il, nous avons vécues ce jour-là. J’étais de cette centaine d’étudiants. » Comment ne pas m’associer à son émotion ? Quoi de plus beau, dans la vie, qu’une jeunesse qui vibre au nom des