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huitième volume 1950-1967

Laurendeau avait dirigé L’Action nationale[NdÉ 1]. Le métier nouveau ne lui était donc pas le grand inconnu. Journaliste l’était-il vraiment ? Il possédait à coup sûr l’art de la plume. Il apportait au journal une culture brillante. Son passage dans la politique, si bref fût-il, l’avait mûri, lui avait donné la connaissance des hommes et des grands problèmes de l’heure. Du journaliste, il lui manquait peut-être le trait, la concision qui cloue dans l’esprit du lecteur, l’idée, l’avertissement, la décision à prendre. En ses articles il mettait un peu trop de la dissertation, de la subtilité. Esprit subtil, il l’était jusqu’à la perfection, jusqu’à l’excès. À la législature de Québec, m’a-t-on rapporté, Maurice Duplessis, pourtant très retors, redoutait plus que tout autre, dans la critique des projets de loi, le député de Montréal-Laurier. Mais André Laurendeau n’avait rien perdu de sa hauteur d’âme. Tous deux, lui et son ami Filion, donnèrent au Devoir, une élévation, un ton qui en rappelait les grandes années.

L’un et l’autre, en effet, se complétaient. Autant Laurendeau évoquait la facilité de l’esprit, j’oserais même dire l’artiste qui se joue à travers les problèmes, autant Gérard Filion incarnait l’esprit solide, le gaillard qui échange volontiers sa plume pour un bâton, le journaliste au ton tranchant, qui sait faire entendre ce qu’il pense sans que personne n’ait à se fouiller. Vrai campagnard qui porte à ses semelles toute la glaise de son pays. Belle période encore dans l’histoire du Devoir où l’on croyait retrouver quelque chose et même beaucoup de l’ancien esprit de Bourassa, d’Héroux et de Pelletier. Pourquoi faut-il que cette ère ait pris fin ? André Laurendeau s’en ira avec Davidson Dunton, prendre la direction d’une grande enquête organisée par le gouvernement fédéral sur la possibilité d’un « biculturalisme » au Canada ; Filion écoutera son penchant vers les affaires

  1. André Laurendeau a été directeur de L’Action nationale de 1937 à 1942.