Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/346

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
327
huitième volume 1950-1967

conférence : Pourquoi nous sommes divisés. Des causes autrement plus graves sont intervenues. Chimère que le manuel unique dont les anglophones eux-mêmes ne veulent point. Et j’ajoute :

Que voulez-vous, mes jeunes amis, si l’on écrit la biographie de quelqu’un, cette biographie est propre à ce quelqu’un ; elle ne peut convenir à nul autre. C’est ainsi pour l’histoire. Si les Canadiens français se croient une nation, et ils le croient et ils le sont, leur histoire ne peut être qu’à l’image de cette nation ou elle n’est qu’un mensonge. Je l’ai dit encore récemment : il n’y a point d’histoire passe-partout. Et il ne saurait y en avoir.

Ces jeunes scouts, esprits mûrs, portent en eux deux graves préoccupations qu’ils me soumettent : « Comment donner à la masse une conscience nationale ? » et « l’indépendance du Québec ». Leur premier souci paraît les accabler. Ils ont déjà sondé, j’imagine, le vide de l’âme populaire. Que lui importe son destin, le milieu redoutable où vit la petite nation ? Que représente, pour elle, le problème de la survivance ? Autant de questions que moi-même je me suis tant de fois posées et qui m’ont apeuré. Je réponds pourtant avec une assurance, une foi, qui ne m’ont jamais quitté :

Le problème n’est pas insoluble. Notre peuple a déjà le sentiment de former un groupe à part, de n’appartenir point à une province « comme les autres ». Sentiment qui existe, si imprécis soit-il. Il suffirait d’abolir, dans l’âme populaire, cette trop lourde survivance qu’est restée sa sujétion économique. Qu’on débarrasse notre peuple de cette sujétion, qu’il ne se voie plus contraint de gagner sa vie en anglais ; que dans le pays de ses pères il n’occupe point le rang d’un simple locataire ou d’un simple employé, mais celui d’un propriétaire, et il reprendra goût à sa langue, à sa culture originelles ; il ne se sentira plus une sorte d’étranger dans son pays natal et son âme se redressera. Cela veut donc dire la reprise graduelle des richesses naturelles de sa province. La reprise est déjà commencée. Nous avons repris nos grandes sources d’énergies hydrauliques. Que l’on continue en ce sens ; que son système d’éducation, jusqu’ici si amorphe, fait pour des esclaves beaucoup plus que pour des hommes libres, l’éveille enfin à ces sortes de préoccupations ; qu’on l’associe — on tente déjà de le faire — à son émancipation économique, et la vieille servitude trouvera sa fin.