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huitième volume 1950-1967

Eustache, l’émotion est si dense que chacun semblait avoir perdu un proche parent. L’adieu du cardinal Léger fut émouvant au possible. Paul Sauvé était mort. L’élan imprimé par le « Désormais » continua. Une digue s’était rompue dont rien ne pouvait freiner le débordement. C’était une prise de conscience adulte d’un peuple adulte. Une volonté de vivre comme jamais il ne s’en était vu. Causes d’ordre psychologique et social. La honte de ses misères, la fatigue de sa médiocrité et l’âpre volonté de s’en guérir ; le renoncement énergique à la marche funèbre vers la mort ou l’insignifiance.

La preuve suprême de l’ébranlement des esprits, ce pourrait être la conversion des milieux politiques aux aspirations nouvelles. Jusqu’alors les libéraux québecois s’étaient révélés d’une extraordinaire incompréhension. Beaucoup de nationalistes votaient pour Duplessis, non pour Duplessis, mais contre l’irréductible bêtise de l’Opposition. Lorsque Duplessis prit nettement l’offensive contre le centralisme de M. Louis Saint-Laurent et déclara retenir 5% de l’impôt sur le revenu des particuliers, le premier ministre québecois posait enfin un geste courageux et concret d’autonomie. Que feraient les libéraux ? L’occasion s’offrait belle pour eux de damer le pion à l’adversaire dans son offensive contre Ottawa et de réclamer plutôt un 10%. Je tiens de M. Maxime Raymond ce que je vais raconter. M. Raymond s’était fort étonné de la conduite malhabile des libéraux québecois. Il s’en ouvrit à M. René Hamel, aujourd’hui juge, mais alors député de la région de Grand-Mère, et ancien du Bloc populaire. « Comment vos amis libéraux, aurait dit M. Raymond à M. Hamel, ont-ils pu commettre cette maladresse qui est plus qu’une erreur ? » — « Ne m’en parlez pas, aurait répondu l’ancien du Bloc ; j’ai essayé toute une nuit de les convaincre de passer à cette offensive ; j’ai perdu mon temps ! » Il ne fallait, d’aucune façon, causer des embarras au chef suprême d’Ottawa, M. Louis Saint-Laurent. On continuait de faire à Québec la politique d’Ottawa, ainsi qu’on s’y conformait depuis 1867, ai-je