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mes mémoires

déjà dit je ne sais combien de fois. Mais voici venir les élections de 1960. Quel slogan ou mot d’ordre ces libéraux encroûtés vont-ils jeter dans l’air ? À l’étonnement de tous : Maîtres chez nous ! Les vieilles oreilles libérales s’écarquillent et n’y comprennent rien. Ce « Maîtres chez nous », je l’avais lancé en décembre 1920, lors de l’enquête de L’Action française sur le problème économique. Mot jeté là aux risques et périls du dangereux rêveur que j’incarnais alors. « Le seul choix qui nous reste, avais-je écrit, est celui-ci : ou redevenir les maîtres chez nous, ou nous résigner à jamais aux destinées d’un peuple de serfs » (Directives, p. 20 ou L’Action française (décembre 1920 : 560). Comment expliquer cet autre revirement de politiciens ? Explications assez nombreuses. Du nouveau chef du gouvernement libéral, M. Jean Lesage, centralisateur à Ottawa sous M. Louis Saint-Laurent, je me disais, voilà un homme aux antipodes du nationalisme canadien-français. Nationaliste, comment l’est-il devenu ? Un jour, passe chez moi mon ami René Chaloult. Il s’est posé la même question. À Québec, me dit-il, je fus longtemps voisin de M. Jean Lesage. Après les élections de 1960, je lui dis : « Tu n’étais pas nationaliste, toi. Comment l’es-tu devenu ? » — « Non, je ne l’étais pas. Mais j’ai parcouru ma province. Je me suis aperçu que son sentiment de fond est nationaliste. Je lui donne la politique qu’elle veut. » Il y aurait une autre explication. Et celle-là, je la tiens encore de l’ami Chaloult. La conversion de l’équipe libérale aurait été préparée par l’ancien chef de l’équipe, M. Georges-Émile Lapalme. Dans un écrit de 6 à 700 pages, M. Lapalme aurait élaboré, en son entier, un programme neuf du parti. Œuvre remarquable, me dit M. Chaloult, et qui, un jour ou l’autre, devrait être publiée. De l’acceptation de ce programme, franchement nationaliste, M. Lapalme aurait fait la condition expresse de sa future collaboration à l’équipe. Enfin le directeur d’une maison de publicité, aux gages de la même équipe pour l’élection prochaine, aurait dit à ces messieurs : « Vous venez à moi parce que vous avez besoin de moi ; moi je n’ai pas besoin de vous. Je me mettrai à votre service, mais à une condition : que vous ayez l’air de savoir ce qui se passe actuellement dans le Québec. Duplessis a gardé le pouvoir pendant près de vingt ans avec un nationalisme camouflé. Présentez-vous donc à la Province avec un nationalisme d’un accent irrésistible. Et pour-