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l’habillé. Tout n’était pas condamnable toutefois en ce grimoire. Le Rapport exprimait ce principe de l’accessibilité de tous à l’enseignement qui leur serait propre. Et on leur garantissait les moyens d’y parvenir. Le malheur pouvait être qu’après un stade acceptable au primaire, l’adolescent se voyait enfourné prématurément dans des instituts à bourrage de crâne, pour plonger impréparé dans les grandes écoles ou universités. À l’épreuve le système apparut d’application plus que laborieuse, presque impossible. Il exigeait une armée de maîtres, une légion d’édifices, un budget énorme. Pour se donner plus de maîtres, l’on commençait par fermer les écoles normales, s’en remettant aux universités qui s’y déclaraient impréparées ; pour loger les futurs écoliers, l’on écartait les écoles indépendantes, la centaine de collèges classiques ; pour couvrir les frais de l’énorme machine, l’on pressurerait le gousset des contribuables. Politique irréelle s’il en fut. Certes, tous les bons esprits désiraient une réforme ; personne ne voulait d’un gâchis. Le plus grave, c’est qu’on prétendait imposer à un peuple en grande majorité catholique une école superficiellement confessionnelle. Et, d’un trait, ou peu s’en faut, l’on biffait l’enseignement des vieilles humanités classiques, pour se tourner vers l’enseignement pragmatiste, d’inspiration américaine. En 1966, le caprice électoral en vint à changer les gouvernants. Les nouveaux venus ne savent trop où donner de la tête : navigateurs qui hériteraient d’une barque manquant de rames, de gouvernail, en possession d’un seul mât, et d’une voile déchirée. À l’heure où j’écris ces lignes, l’on sort malaisément d’une grève d’enseignants qui a failli s’étendre à toutes les écoles de l’État du Québec. L’on a parlé à bouche que veux-tu de « Révolution tranquille ». Rien de moins tranquille que ce qui s’est passé dans la province, en ces derniers temps, par suite de ces maladroits ajustements. La « grèvomanie » s’est installée en permanence. Les chefs de syndicats se sont transformés en agitateurs. Des moments sont venus où il semblait qu’une lutte à finir s’engageait entre les syndicats de toute forme et l’État. L’ordre se rétablit ; mais il y fallut rien de moins qu’une législation courageusement draconienne. Les ajustements du système sont encore à faire. On s’y emploie laborieusement.