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huitième volume 1950-1967

Pourtant les plus graves conflits restent à venir. Et ceux-ci, non à l’intérieur du Québec, mais entre Québec et Ottawa. Pour faire face à son renouveau, le Québec sent plus que tout son impuissance : manque de liberté et de finances. Dans le sens de la liberté, jusqu’où doit aller la réforme constitutionnelle ? Au sujet de la finance, que doit-il arracher au trésor réfractaire d’Ottawa ou de l’État central ? Quelle autonomie doit-il recouvrer sur ses propres revenus ? Questions souveraines et questions irritantes entre les deux gouvernements, d’autant qu’en cette année 1967, au lieu d’un relâchement dans le lien fédéraliste, relâchement obtenu dans une suite de conférences fédérales-provinciales, le gouvernement central se livre présentement à un retour agressif d’une politique centralisatrice. Politique qui ne peut qu’activer, dans le Québec, l’agitation constitutionnelle pour des réformes en profondeur qui ont nom : État associé, « statut particulier », et même indépendance à défaut d’égalité. L’unanimité paraît se faire, en effet, sur l’impossibilité d’un statu quo constitutionnel. Nos chefs politiques en sont venus à parler couramment de « statut particulier » pour le Québec, à réclamer, dans l’État québecois, la priorité du français. L’on entendra même un monsieur Jean Lesage déclarer un jour et très hautement : « Le temps est passé, dans l’État du Québec, où un ouvrier sera obligé de gagner sa vie en anglais. » De semblables propos m’avaient valu jadis, de la part de Jean-Charles Harvey, l’épithète de « révolutionnaire ».

Sur ces graves problèmes, que de fois l’on m’a demandé mon opinion, mon sentiment, l’on a même exigé une directive ! C’est le lieu peut-être de m’expliquer. D’autant qu’en certains milieux on me reproche volontiers mes hésitations, mes balancements entre le fédéralisme et l’indépendance. Je n’ai jamais caché ma répugnance à me mêler de politique, à prendre parti en cette matière. Il me semble que ces sortes de directives ne relèvent pas d’un prêtre. Je suis d’ailleurs et j’ai voulu rester un homme libre. En toute ma vie, je n’ai même usé de mon droit de vote que deux fois, la chose, à mon sens, n’en valant pas la peine. Puis ma conscience se posait l’insoluble question : où réside le moindre mal ? Ou : comment choisir entre deux grands maux ?