Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/375

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
356
ms mémoires

été la tache s’étend, prématurément des feuilles mortes tombent sur le gazon ; le troisième été, dans l’arbre au panache touffu, plus de feuilles. Il est mort, empoisonné par l’invisible assassin.

État d’âme

En quel état d’âme aurai-je vécu mes dernières années ? Je me sens comme à la fin d’une époque. Que de changements, en notre peuple, autour de moi, en ces dernières années ! La « Révolution tranquille » peut se dire tranquille, parce qu’elle s’est faite sans bouleversement fracassant, sans effusion de sang, mais combien profonde dans les esprits, dans les mœurs ! Jamais n’avait-on vu un peuple se révulser, presque changer d’âme, aussi rapidement, sans bruit, sans trop s’en apercevoir. Tout n’est pas à dédaigner en ce brusque changement. Que j’aurai trouvé à me réjouir, par exemple, de cette ressaisie de notre destin, de cette prise de conscience nationale qui nous a éveillés enfin au sens de notre passé, de notre avenir, de notre être ethnique et qui a préparé jusqu’à l’évolution pour ne pas dire la conversion de notre personnel politique ! Enfin, dans ces milieux et dans bien d’autres, l’on sent, l’on parle et même parfois l’on agit en canadien-français. De cette heureuse évolution l’on me tient en certains lieux responsable. Je tombais, il y a quelques jours, sur ces lignes de la plume de Jean-Marc Léger (Le Devoir, 26 nov. 1965) : « Il n’est certes pas excessif de dire que le chanoine Groulx a exercé pendant ce demi-siècle une influence de tout premier plan sur l’évolution du Québec, beaucoup plus grande parce que plus profonde que celle de la plupart des hommes politiques et que le nouvel élan du Canada français lui est dû pour une très grande part. » Certes le compliment est gros. Je ne puis l’ignorer néanmoins à voir mes anciennes thèses, jugées si révolutionnaires autrefois, reprises par les nouveaux bâtisseurs de notre nation à ce point que, pour la première fois de ma vie, je me trouve en excellentes relations avec tous les politiques québecois. Cependant, en l’œuvre de ces bâtisseurs, quelle rareté de grands et véritables architectes. De quel édifice a-t-on rêvé ? D’où sont venues les inspirations maîtresses ? Je ne trouve point à me réconforter, par exemple, dans l’extrême timidité que l’on apporte à la continuation vigoureuse, méthodique, de notre émancipa-