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Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/42

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mes mémoires

ces hommes avec qui le plus sage n’était pas de se défendre, mais de se rendre. « Vous vous en tirerez… » Je faillis m’en mal tirer. L’on connaissait assez mes opinions sur le sujet pour savoir d’avance quel tour prendrait ma conférence. Dès mes premiers mots, on put s’en apercevoir :

Le Canada, pays libre, pays indépendant. L’est-il ? Peut-il l’être ? Doit-il l’être ? Je note que, dans les trois Amériques, de la terre glaciale à la Terre de Feu, un seul pays en est encore à se poser ces questions de mineur en tutelle. Le plus extraordinaire et le plus humiliant, c’est que, en l’an 1945, un Canadien ne puisse, sur ces questions capitales, hasarder ses opinions d’homme libre, sans affronter quelques risques. Le Père Archambault a eu beau m’écrire : « Vous pourrez traiter ce sujet comme vous l’entendrez », chacun entend bien que, ce soir, je ne pourrai parler de l’indépendance du Canada sans un peu d’indépendance d’esprit. Et voilà qui me dispense d’ajouter que ce discours n’engage que moi seul.

Ai-je prononcé, ce jour-là, le discours le plus hardi de ma vie ? Je ne suis pas éloigné de le croire. J’ose prendre tout d’abord la défense du Statut de Westminster si décrié par les jeunes dont le tort assez grave est de ne rien connaître du droit constitutionnel anglais. Pièce maîtresse pourtant, tournant presque décisif dans l’évolution politique de l’Empire britannique, surtout si l’on relie le fameux Statut aux textes des conférences impériales de 1926 et de 1930 dont il entérine les graves formules. « À aucun moment des évolutions constitutionnelles du monde britannique, osai-je prétendre, ni en 1215 à l’heure de la Grande Charte, ni dans le Bill of Rights de 1688, ni à nulle autre époque l’on ne saurait trouver des textes d’une si aveuglante clarté, aussi dépouillés de toute équivoque, aussi chargés de sens et de conséquence. » Fait plus étonnant encore, ajoutai-je : « Quand on sait la répugnance des Britanniques pour toute formule trop contraignante ou trop précise, pour tout dogmatisme juridique ou constitutionnel, il faut admettre que jamais les Anglais de Grande-Bretagne ne se sont laissés lier par des engagements plus catégoriques, n’ont condescendu à d’aussi graves concessions, je devrais dire, à si profonde humiliation. »

Textes clairs, presque bouleversants, en effet. Qui nous expliquera, dès lors, que dans les Dominions et tout spécialement au