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tude, que dans la réalisation totale de sa personnalité et de son destin. Il n’y a d’allégresse intérieure et de fierté de vivre pour une nation que dans l’accomplissement de sa mission, dans la réalisation du destin national. Ce serait bien peu de chose que l’apport d’un petit groupe comme le nôtre, devenu anglophone, apport anonyme à l’énorme civilisation américaine. Hissons cette idée au plus haut mât de notre vie qu’un Canada français, cramponné magnanimement à son passé, donnant l’exemple de la plus haute fidélité morale, laissant déborder par-dessus ses frontières la plénitude de sa vie française, pourrait être l’étonnement et le joyau de l’Amérique.

Propos parfois sévères, on le pensera, ceux que l’on vient d’entendre, même si le conférencier les avait voulus, souhaités prenants, enivrants. La tâche lui paraissait si passionnante de relever le courage et la fierté des siens. Propos sévères qu’accepta néanmoins un auditoire si attentif, si vibrant, à certains moments, que l’illusion m’envahit, illusion de tous ceux qui croient à la parole et à la puissance d’action du verbe. Enfin, me disaisje, on aura compris ! Enthousiaste, M. Héroux s’employait le lendemain, dans Le Devoir, à nourrir ma naïveté : « Il y avait foule hier soir au Gésu, écrivait-il… Lisez cette leçon de courage et d’énergie, ce lucide examen de nos forces et de nos faiblesses, cet appel au travail… Rien ne fut plus remarquable que cet autre fait : l’extrême attention avec laquelle cet auditoire suivit une thèse aussi fortement musclée, aussi soigneusement nuancée. Pendant l’heure et demie et plus que dura la conférence, pas une trace de distraction ou d’apparente fatigue. Décidément nous avons un public pour choses sérieuses. » Le Carabin ou Quartier latin, journal des étudiants de l’Université de Montréal, consacrait un numéro spécial à « Notre mission française ». C’était dans le temps où nos étudiants ne se bornaient pas à distiller un puéril anticléricalisme. Mais il faut rappeler que Le Quartier latin avait alors pour directeur : Jacques Genest. André Laurendeau, qui donnait encore à L’Action catholique des « Lettres de Montréal », faisait large place, dans sa « Lettre » du 27 janvier 1942, à « Notre mission française ». Il citait même tout au long mon petit discours à mes coparoissiens de Vaudreuil, un soir de Saint-Jean-Baptiste, lors d’une distribution de prix sco-