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mes mémoires

sous ses aspects nouveaux, habits, manteaux divers dont l’homme se couvre par fidélité aux modes du jour, l’on oublie trop, dis-je, « l’homme fondamental » qui lui ne change guère. Quoi que l’on veuille et quoi que l’on fasse, il en faudra toujours revenir à ce problème de fond, problème posé en ma conférence : « Par quelles méthodes, quel dosage, quelle combinaison de matières et d’enseignements, développer les facultés [d’un enfant], dans leur hiérarchie essentielle et les acheminer à une synthèse de forces ordonnées ? » J’écrirais aujourd’hui cette variante : par quelles méthodes et quelle substance de l’enseignement, donner à l’esprit humain ses deux qualités qui me paraissent dominantes : la finesse, la subtilité, source de l’esprit critique, et la vigueur, la force créatrice d’où jaillit en tous les arts, le chef-d’œuvre ? Sur ce point, les vieilles humanités, je pense, ont fait leurs preuves. Où en sont les humanités remplaçantes ? Le moins que l’on en puisse dire — et je le dis au risque de scandaliser nos modernistes — est qu’elles en restent à l’essai, à la première expérience. Un peuple a-t-il le droit de jouer son sort sur le probable et l’incertain ? Certes, et je l’admettais en 1948, il fallait tenter un nouveau dosage, rendre les programmes scolaires plus hospitaliers à quelques nouveautés imposées par le temps, par l’extraordinaire bouleversement du monde. Mais il me paraissait alors et il me paraît encore bien imprudent de jeter aux orties, comme une défroque absolument démodée, les cultures qui ont formé tant de générations de superbes humanistes et qui même se retrouvent à la formation première des grands savants. Avec humour, cela va de soi, je regrettais le temps où l’on s’embrassait pour l’amour du grec. Esprit, sans doute, trop traditionnel, j’estimais l’aventure extrêmement grave, pour un jeune peuple, de tourner le dos à la culture d’un vieux peuple qui fut peut-être le plus intelligent du monde : ce petit peuple grec qui, par le simple jeu des facultés de l’homme normal, avait réussi à couler la pensée humaine en des formes impérissables. Peuple génial qui n’a pas produit que des littérateurs, des artistes, mais aussi des politiques, de grands militaires, des industriels, des commerçants, des navigateurs qui ont couvert la Méditerranée. Sans doute, les humanités gréco-latines, nos vieux maîtres, qui ne savaient pas mieux, nous les ont pauvrement enseignées ; leur méthode était fausse, étriquée ; ils ne nous livraient guère, disais-je, « la moelle