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Notre Maître, Le Passé

âpreté à faire main basse sur toutes les fonctions publiques, tous les postes administratifs, à s’emparer de toutes les avenues du pouvoir et des profits. De là, en grande partie, leur opposition systématique au développement des libertés constitutionnelles. Dans l’esprit des hommes, sinon toujours dans les faits, ce système prévaut que les coloniaux doivent être administrés, indignes ou incapables de s’administrer eux-mêmes. L’émancipation des assemblées représentatives, l’oligarchie le sait fort bien, équivaudrait pour elle à une dépossession, sinon à une défenestration. Et voilà pourquoi c’est partout, dans l’empire, la même tendance à prolonger le régime de la colonie de la couronne, sous le couvert d’un parlementarisme truqué.

Pour nos ancêtres du Canada français la situation s’assombrit d’autres menaces. Dans le Québec, la question n’était pas seulement d’arrêter auquel des deux partis appartiendraient l’administration et le gouvernement de la province. L’usage que le vainqueur faisait de la puissance politique contre les droits des Canadiens, contre l’âme même de leur race, élevait au-dessus de tout la gravité du débat. L’enjeu de la lutte n’était plus la seule liberté politique, mais le droit, la vie même d’une nationalité. La conquête signifierait-elle pour nos pères l’unique allégeance à un prince nouveau ou leur sujétion à une culture et à un peuple étrangers ? Lequel prévaudrait dans leurs destinées, de la formule du droit de conquête moderne ou de l’esprit barbare du droit antique ? Qui oserait soutenir, en effet, qu’à nous démettre du gouvernement de notre propre province, ou qu’à nous résigner à l’ilotisme politique, avec ce qu’il impliquait de maladies démoralisantes, nous n’eussions pas ruiné notre avenir en