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Marguerite Bourgeoys

ce noviciat de travail et de vaillance ? Marguerite nous a confié elle-même qu’elle faisait ainsi et qu’elle s’y sentait obligée, « à cause que c’était pour former des familles ». Entendez que, dans la cité de la Vierge, les femmes ont pour obligation de porter au front un visible sceau d’honneur et que la vertu ne saurait être trop grande aux aïeules d’une race française.

Ces vues ne quittent pas Marguerite Bourgeoys quand elle inaugure sa mission auprès des enfants de Ville-Marie. Toujours elle voit en ceux qui vont grandir, ceux qui vont devenir les ancêtres d’un peuple, les pères de cette Nouvelle-France célébrée par les missionnaires comme « le chemin le plus court pour aller au ciel ». Qu’elle eût cette parfaite et claire conscience de son rôle, le Père Charlevoix, qui devait savoir, ne nous permet pas d’en douter. « Lorsqu’elle conduisait en classe ses petites élèves, et s’essayait à former leur esprit et leur cœur, a écrit l’historien, elle voyait en elles non seulement des enfants à instruire, mais encore les générations futures. Son but était de préparer de bonnes familles chrétiennes, et, par là, une société vraiment chrétienne et finalement un grand pays chrétien ».

Ces hautes visées ne dépouillent point Marguerite de son sens réaliste. Pour adapter à son nouveau pays l’institut qu’elle va fonder, elle ne craint pas d’innover. C’est alors la tradition que seules les congrégations cloîtrées s’adonnent aux œuvres d’enseignement. En un pays pauvre comme la Nouvelle-France, Marguerite a compris qu’il faut autre chose. Des religieuses en clôture peuvent s’établir dans les villes. Il y a déjà les Ursulines qui élèvent dans les belles manières chrétiennes et françaises, les jeunes filles du Canada.