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Notre Maître, Le Passé

toutes choses que possédait Louis Jolliet, et le portrait sera complet.

Alors, avec émotion, nous pourrons pénétrer plus avant dans la psychologie de l’explorateur français, du coureur de bois et de fleuves. À n’en pas douter, il se fit dans l’âme de ces Français du dix-septième siècle, au contact du Nouveau-Monde, un réveil des plus nobles atavismes. Dans leur ardeur à dévorer l’espace, il y a quelque chose de la folie aventureuse des vieux Normands ; il y a aussi une reviviscence de l’esprit chevaleresque. L’idéalisme conquérant de la race, force incoercible, s’élance cette fois par les grandes routes d’eau qui mènent aux exploits merveilleux, aux « graals » fascinateurs. Plus tard, notre jeunesse féodale et militaire, trop mal préparée par ses ascendances à la vie sédentaire des manoirs, cherche et trouve là un dérivatif, un emploi à son activité pétulante. On ne court point pour courir, pour le vain plaisir d’élargir l’horizon, de respirer un air plus libre. Si l’on fait quelquefois la traite, il est rare qu’elle soit toujours l’unique souci. À l’avant des canots, dans le lointain mystérieux, flotte le mirage d’une gloire à cueillir, du roi à glorifier, de la patrie à faire plus grande. Pour mieux comprendre cet état d’esprit, rappelons-nous que les colons anglais, nos voisins, ne travaillent que pour eux-mêmes, que venus en Amérique pour y vivre plus libres, ils sont détachés de toute métropole, ne sont les envoyés d’aucun monarque, d’aucune église. Les Français, au contraire, sont les envoyés de la France apostolique ; quand ils fondent et découvrent, ils donnent un prolongement à la grande patrie, ils exécutent les ordres du cabinet de Versailles, ils collaborent à la gloire de leur roi. Le brave Joutel énumère ainsi les motifs qui le font