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Page:Guèvremont - En pleine terre - paysanneries - trois contes, 1942.djvu/120

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Germaine Guèvremont

débitait un boniment, si vite qu’il ne suffisait pas à refouler sa salive :

— Venez, mesdames et messieurs. Venez voir danser Fioume le Beau Sacreur, le meilleur danseur du canton. Il passe, je vous mens pas, plus vite qu’un éclair graissé. Approchez, les dames. Ayez pas peur, les demoiselles.

Noirs de rire, les assistants s’en tenaient les côtes. Jacques savait qu’un étranger, profitant de sa maladie, faisait ouvertement la cour à Roseanne. Il le verrait de ses yeux, ce Louis Ladouceur à qui la vantardise de posséder une collection des pires sacres — mais que nul n’avait jamais entendus — avait valu le sobriquet de Beau Sacreur. Appuyé contre le chambranle de la porte, il le regardait mener avec Roseanne une gigue si endiablée que le ménétrier avait toutes les peines du monde à le suivre.

— Câline ! y va plus vite que le violon, disait une femme en grande admiration devant lui.

À la vue de son rival en pleine santé, fort comme un chêne, Jacquot se sentit faiblir. Blessé à mort, assailli par une meute de regrets, plus perdu au milieu de ce monde