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Page:Guèvremont - En pleine terre - paysanneries - trois contes, 1942.djvu/143

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En Pleine Terre

Et le supplice de l’attente recommence. La tête de la vieille fille est une enclume qu’un forgeron invisible martèle sans répit. Ses mains sont de glace. Il ne faut pas que Parfait la trouve dans cette attitude de misère. Sur la pointe des pieds elle va à la fenêtre ouverte se mirer dans la vitre. De deux, trois pincées elle ranime les couleurs de ses joues et elle retourne s’asseoir avec précaution en déployant les godets de sa robe de soie puce. Soudain elle entend qu’on déplace une chaise là haut. Son cœur bat à grands coups mais elle s’impose d’être calme. Rêve-t-elle donc ? Une voix s’élève qui récite sur le mode du plain-chant : « le bleu… le bleu… » et elle reconnaît à peine dans la voix avinée la voix chaude et charmeuse du beau diseur de vers… » le bleu, c’est un bouleau d’argent où une vieille fille attend… le bleu, c’est une demoiselle Émérence qui voudrait bien se trouver un mari… Ah ! ah ! le temps des bouleaux d’argent est fini… »

Tandis qu’elle fuit crispée de douleur, la voix éraillée, cruelle, pénètre encore en elle. Affolée, dans sa détresse, elle se croit au Petit Brûlé ; elle marche au milieu du chemin. Avec l’instinct d’une bête blessée, elle