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Page:Guèvremont - En pleine terre - paysanneries - trois contes, 1942.djvu/94

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Germaine Guèvremont

me Beauchemin, une veille aussi triste qu’une veillée au corps quand arrivent les petites heures. Tout d’un coup, il m’a semblé que la vague renforcissait. Le temps de me dévirer, Anthime, resté de fatigue, qui cognait des clous dans son coin, s’était réveillé. Dressé de tout son long et figé comme un pain de suif, il écoutait : l’eau frappait le plancher du haut.

— Grèye les petits ! Envoye fort. On va tenter de se sauver avant que la maison croule.

Pendant qu’il halait la chaloupe amarrée au chassis, je commençai à habiller les enfants. Au lieu de les envelopper, à tout moment je les serrais, à les étouffer, sur mon cœur, sûre de jamais les revoir dans ce bas monde. J’avançais à rien ; on aurait dit que la peur m’avait changé les doigts tout en pouces. Lui me suppliait d’aller plus vite. Mais les forces me manquaient ; je sentais déjà les premiers effets de la maladie. Mon sacrifice était fait. Ben résignée à mourir là, je dis :

— Sauvez-vous tous les quatre du mieux que vous pourrez.