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LE SURVENANT

filles tentèrent vainement de la retenir. Dans le sentier conduisant à la grange, elle trébucha. À ses cris auxquels il ne pouvait se méprendre, Pierre-Côme lui ordonna de rentrer à la maison.

Aussitôt elle obéit. Cependant elle trouva le tour de crier au père Didace :

— Garder un étranger de même, c’est pas chanceux : celui-là peut rien que vous porter malheur. Que je le rejoigne jamais dans quelque coin parce que je l’étripe du coup ! J’aime mieux vous le dire.

Didace ne l’entendit même pas. Une grosse joie bouillonnait en lui avec son sang redevenu riche et ardent. Sa face terreuse sillonnée par l’âge, ses forces en déclin, son vieux cœur labouré d’inquiétude ? Un mauvais rêve. Il retrouvait sa jeune force intacte : Didace, fils de Didace, vient de prendre possession de la terre. Il a trente ans. Un premier fils lui est né. Le règne des Beauchemin n’aura jamais de fin.

C’était lui qui se battait à la place du Survenant. Ses muscles durcissaient sous l’effort. L’écume à la bouche et la tête au guet, les jambes écartées et les bras en ciseaux, il affrontait l’adversaire. V’lan dans le coffre ! Ses poings, deux masses de fer, cognaient dur, fouillaient les flancs de l’autre. Les coups qu’il aurait portés, le Survenant les portait. Vise en plein dans les côtes. Tu l’as !