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LE SURVENANT

— Que la journée sera belle ! songea Angélina, en avançant vers la route.

Un vent léger comme un souffle passa. Aussitôt les liards tirés du sommeil agitèrent leur feuillage. Les feuilles avaient maintenant atteint leur grandeur, et les arbres la plénitude de leur ombre. La rosée perlait partout sur l’herbe. Indécis, un papillon battait des ailes et voltigeait d’une faverole à un jargeau bleu. À la moindre lisière d’herbe, les boutons d’or, les vesces, les laiterons étalaient pêle-mêle la vivacité de leurs couleurs.

Angélina sursauta. Au milieu d’une touffe de grande oseille elle voyait bouger une large tache rouge. Sur le bord du fossé, près des liserons mauves enroulés aux perches de la clôture, un homme dormait, couché à plat ventre, une bouteille collée à sa joue. Le mackinaw du Survenant ! Impossible d’en douter : elle le reconnaissait aux manches rapiécées et aux reprises qu’elle-même y avait faites. Alors le Survenant avait repris à boire ? Quel malheur ! quelle misère ! Et surtout, que personne ne le sache ! Doucement elle s’approcha de l’homme et, pour le secourir, se pencha vers lui. Mais à peine inclinée elle s’écrasa, comme si une faux en embuscade lui eût tranché les deux jambes. Son cœur bondit tout ensemble d’étonnement et d’indignation : au lieu du Survenant, Joinville Provençal était