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LE SURVENANT

cement perpétuel dont le haut de son corps semblait animé. Son regret de la défunte n’allait pas jusqu’à la faire se priver du vin dont elle raffolait :

— Je vois pas de mal à ça, ma fille.

— Seulement, observa Phonsine, j’ai pas de galettage, pas même un biscuit village…

Bernadette Salvail s’offrit à l’aider et manœuvra pour servir le Survenant. Lui tendant un verre, elle s’enhardit jusqu’à dire :

— Gageons, le Survenant, que vous jouez du piano ! Je vois ça à vos yeux.

— Sûrement.

— Chez Angélina, ils ont un harmonium, mais c’est de valeur : personne joue jamais.

Le Survenant se tourna du côté d’Angélina :

— C’est-il la vérité qu’elle dit là ?

— La franche vérité ! Mais c’est un harmonium tout ancien qui doit avoir besoin de se faire accorder : on l’a pas ouvert depuis la mort de ma mère.

— Faudra que j’arrête chez vous, à quelque détour.

Angélina crut mourir de joie.

Le Survenant tourna le dos aux femmes et se mit à causer avec les hommes, laissant sa main étalée sur la table, près d’Angélina. Celle-ci regardait, sans pouvoir en détacher ses yeux, cette grande main d’homme, déliée et puissante, tout à la fois souple