Page:Guèvremont - Le survenant, 1945.djvu/64

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
65
LE SURVENANT

une longue bête assouvie. Sur l’autre rive, les arbres ornaient d’une couronne touffue la clairière de l’Île d’Embarras. À côté des saules pacifiques, insoucieux, de jeunes planes dardaient leurs branches agressives, comme autant de lances à l’assaut, tandis que les liards géants se reposaient, dans la patience et l’attente des choses.

Venant renifla d’émotion. Quelque chose de grand et de nostalgique à la fois, quelque chose qu’il n’avait jamais ressenti auparavant remuait en lui, qu’il eût aimé partager, même dans le silence, soit avec Didace Beauchemin, soit avec Angélina Desmarais, ou peut-être aussi Z’Yeux-ronds. Il regretta d’avoir laissé le chien à l’abandon sur le quai.

* * *

Le père Didace n’avait pas menti : il y avait au lac de grands rassemblements d’oiseaux sauvages attendant du ciel le signal de la migration vers le sud. Déjà la sarcelle à ailes bleues et la sarcelle à ailes vertes avaient fui le pays. Les canards assemblés par milliers, les uns silencieux, les autres nerveux et volontiers criards, formaient comme une île vivante sur la batture. Dissimulé parmi les branchages, Venant se passionna à suivre leurs ébats : ce n’était que frouement de plumes, nuages de duvet,