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LE SURVENANT

rien que des craquements et des rages de vent. Plus de franches brumes levées avec le jour et que dissout un premier rayon de soleil, mais des brouillards morts sournoisement emmêlés aux brûlés et aux chaumes. Pas une motte qu’on ne retournât dans les terres. Pas un carré de potager qu’on ne mît à couvert sous une couche de paillis. Pas un cellier qu’on ne protégeât d’un double revêtement.

D’un champ à l’autre, la voix des hommes, plus grave et plus sonore, tintait comme un glas dans l’air matinal. Et souvent le chevrotement d’une brebis, stupide de détresse, franchissait la rivière, butant contre les berges.

Maintenant tout était si calme que la plaine semblait s’abandonner comme à la résignation, puis à la sérénité. Le chenal, sans les rouches desséchées, tapies entre terre et eau, paraissait élargi. À un bout de la commune, les derniers moutons, assemblés en rond, se serraient nez contre nez, épaule contre épaule, solidaires et silencieux, et forts. Dès le lendemain, il faudrait les traverser en chaland du pacage à la bergerie.

Venant cessa d’avironner et laissa le canot dériver. Il se hissa avec précaution, la figure tendue au paysage. Il pouvait voir au loin mais il regardait près de lui : dépouillée des salicaires, l’île communale, ainsi déserte et comme apaisée, ressemblait à