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LE SURVENANT

Didace traitait en ami le fusil de chasse. Il l’entourait de petits soins que raillait Amable, peu précautionneux, tel que de toujours l’engainer quand il le transportait au grand air, afin de ne pas trop l’exposer aux duretés des intempéries.

Depuis l’arrivée du premier Beauchemin, au Chenal du Moine, six générations auparavant, le fusil de chasse était à l’honneur dans la maison. Après le mousquet apporté de France et le fusil à bourre, celui-ci à canon broché, de bonne valeur sans être une merveille, participait à la vie intime de la famille Beauchemin, comme la table, comme le poêle, comme le lit. Didace en connaissait si bien la portée que, vînt à passer du gibier, gibier d’eau ou gibier à poil, rarement il lui arrivait de gaspiller une cartouche.

Devinant l’éclair de moquerie dans le regard de Venant, Didace enjamba la cage à appelants et hala deux sacs combles de canards. Il y en avait soixante-deux en tout, des noirs pour la plupart, mais avec quelques cendrés, une couple de courouges, un branchu aux trois plumes précieuses et plusieurs terriens parmi, tous gras et en belle plume.

— Ils tombaient comme des roches. Je leur coupais la vie, net !

Mais soudain, soit que des images du passé resurgissent à ses yeux, soit que le désir de se venger