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LE SURVENANT

— Vous, le beau faiseux d’almanach !

Au dehors, la Pèlerine, la cloche de Sainte-Anne de Sorel, s’évertuait à sonner : envoie une bordée de sons au Chenal du Moine, butte sur les labours gelés, propage ses notes claires au delà de la grand-rivière, porte une volée à l’Île de Grâce, une dernière branlée au nord, puis tinte… tinte… tinte…

Elle tintait encore quand Alphonsine sortit de la maison. Dans sa collerette de rat d’eau sentant la camphorine, elle était à peine reconnaissable, et fort enlaidie : elle n’avait plus son visage lisse et blême, ni ses bandeaux unis, des jours de semaine, mais un toupet frisé comme à perpétuité et la figure d’une blancheur risible, de la poudre de riz jusqu’à la racine des sourcils et des cils. Elle s’assit en arrière dans la barouche avec Amable. Le Survenant prit place sur le siège d’en avant, à côté de Didace, prêt à partir, les guides en main. Cahotés en tous sens ils firent un bon bout de chemin sans que personne ouvrît la bouche.

Aussi longtemps qu’il longeait le fleuve, même en coupant à travers les terres, le chemin de Sainte-Anne de Sorel restait large et assez ordonné. Mais passé le Petit Moulin, au partage du fleuve, où commence l’archipel à la tête du lac Saint-Pierre, puis le chenal du Moine et le rang du même nom, il devenait subitement sinueux, à vouloir suivre les