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MARIE-DIDACE

le rattachaient à la terre. Malgré un halètement pénible, il se hâtait de tout dire :

— Vous souvenez-vous, monsieur le curé, de la fois de votre fusil français, quand vous étiez jeune prêtre ? Votre père vous avait fait cadeau d’un saint-Étienne, un douze, un fameux de beau fusil. Et vous pensiez qu’il suffisait d’un bon fusil pour faire un bon chasseur. Comme vous étiez tout nouveau dans la paroisse, on vous avait conduit au banc de sable, une belle après-midi d’automne. Tout d’un coup on voit venir à nous une grosse bande d’alouettes. Le ciel en était noir. L’un de nous autres vous crie : « Exercez-vous ! monsieur le curé, c’est le temps. » Je vous vois encore tirer dans le tas. V’lan ! V’lan ! Mais pas un oiseau tombe. Pas un. On n’osait pas rire, comme de raison, vous étiez notre curé et on vous connaissait à peine. Mais on se tordait par en dedans. Quand vous vous êtes déviré devers notre bord, en nous voyant près d’éclater, vous avez dit d’un grand sérieux : « Il tire ce fusil-là ! » Pas un mot. Personne bronchait. Les yeux pointus, on attendait que vous vinssiez parler. Vous nous avez demandé : « Avez-vous vu comment je m’suis exercé à passer les plombs entre chaque alouette sans en frapper une seule ? » Là on a ri à notre goût. Et on vous a adopté du coup. On avait compris que vous seriez peut-être ben jamais