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MARIE-DIDACE

— La belle petite bête ! s’exclama Marie-Amanda.

La vision de la terre, grasse et brune sous les frais labours, riche de promesses, ne fit qu’accroître la rancune de Phonsine.

Le limon de son passé qu’elle croyait déposé à jamais et que l’arrivée de l’Acayenne avait déjà fait lever, tout le limon remonta d’un seul jet. À travers l’eau brouillée, des souvenirs bouillonnaient ; souvenirs de son enfance d’orpheline élevée à la charité publique ; souvenirs de son adolescence humiliée au milieu d’adolescences choyées ; souvenirs de sa jeunesse en service.

Des bulles grises crevaient…

Ses premiers gages, quelques dollars gagnés péniblement à quinze ans, symbole de sa libération, qu’elle avait montrés en triomphe à son père, mais que celui-ci, esclave de la passion qui devait le tuer peu après, avait gardés pour lui. Son départ pour Montréal, lestée d’illusions sur la ville, toutes ses possessions dans une petite valise grise à courroies de cuir, objet de son orgueil et de nature, croyait-elle, à créer une bonne impression, mais qui ne provoquait qu’une grimace de dédain chez sa nouvelle bourgeoise. Puis le sourire de maîtres hautains que la gaucherie et le parler fruste de Phonsine amusaient en société, mais qui, derrière les portes closes, lui faisaient des offres honteuses. Un soir,