Page:Guèvremont - Tu seras journaliste, feuilleton paru dans Paysana, 1939-1940.djvu/180

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tes signaient, pour la plupart, leur nom en toutes lettres, pourquoi continuerait-elle à se servir d’un pseudo qui ne l’identifiait guère ? Que pensait-il de l’idée de mettre au haut de la page des dames : Directrice, Caroline Lalande.

Philippe crut qu’elle blaguait :

— Pour qui vous prenez-vous ? Une Dorothy Thompson ?

— Non, rien qu’une Caroline Lalande.

— Le nom de Caroline Lalande n’a rien dont un journal puisse se glorifier.

C’était la première fois que Philippe Dulac faisait une allusion au fait que Caroline eut passé en correctionnelle. Dieu sait ce qu’un honnête homme aurait donné pour ne pas avoir prononcé ces paroles mais elles étaient chose accomplie et Philippe eut-il demandé mille fois pardon, rien ne saurait les effacer.

— Lâche ! cria Caroline, atteinte en plein cœur.

La colère qui avait si souvent grondé en elle éclata. Elle, la silencieuse, la femme de peu de mots, ne parvenait pas à tout dire : la protection, l’aide, l’esprit de camaraderie que Philippe lui avait toujours refusés depuis la mort de M. Dulac, père, se bornant à lui accorder, comme une grâce, le strict nécessaire ; l’équivoque dont il avait entouré ses écrits afin d’en bénéficier au besoin. Même les bandits, dit-elle, ont un code d’honneur et celui qui triche paie, de sa vie, sa trahison.

Pour marquer toute l’indifférence qu’il portait à une telle scène, Philippe bâilla sans gêne, un bâillement de fauve. Caroline en eut honte pour lui ; elle baissa les yeux. Quand elle les releva, une se-