Page:Guèvremont - Tu seras journaliste, feuilleton paru dans Paysana, 1939-1940.djvu/186

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« People » lui avait fait tenir. Elle n’avait pas l’ombre d’un doute qu’une semblable recommandation lui ouvrit toutes les portes. Même les plus difficiles. Et à deux battants. Mais à mesure que le temps passait, son assurance s’ébranla. De nouveaux arrivés prenaient directement le chemin du bureau du directeur et elle attendait toujours, perdue dans un coin. À une heure, la secrétaire annonça que l’audience ne reprendrait qu’à trois heures.

Caroline avait faim et se faisait une joie de manger un bon repas au restaurant. Elle erra un peu à l’aventure avant de découvrir un endroit à son goût. Comme c’était jour d’abstinence, elle commanda une salade aux œufs et des flageolets. Elle ne savait pas au juste ce que sont des flageolets, mais elle l’apprendrait.

Quand elle vit son repas, deux tranches d’œufs égarées parmi de la laitue frisée, quelques haricots qui semblaient combler un plat ridiculement petit et une pâtisserie dont la glace masquait la sécheresse, elle apprécia de tout son cœur les omelettes baveuses et les tartes dorées que Mariange Bonneville dressait sur la table quotidienne. Ce fut à regret qu’elle déboursa soixante-quinze sous, de son argent qu’elle gagnait si durement, pour payer un si maigre repas.

À trois heures, le directeur la reçut. Dans sa gêne elle s’accrocha à la carpette et faillit tomber. Quand elle se ressaisit elle vit un homme digne qui lui dit d’une voix impersonnelle tout en continuant à signer des feuilles :

— Que puis-je pour vous ?

Caroline avait par mesure de précaution préparé un petit boniment qu’elle avait appris par cœur. Mais, au moment de parler, elle n’en retrouva pas un mot et s’empêtra dans des phrases quasi-incohérentes.

Le directeur l’interrompit :

— Je comprends, Mademoiselle, mais il faut en moyenne six mois pour qu’un pro-