Page:Guèvremont - Tu seras journaliste, feuilleton paru dans Paysana, 1939-1940.djvu/187

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gramme soit approuvé par le comité de lecture et au moins davantage pour qu’il soit irradié.

Caroline avait ménagé pour la fin la lettre de monsieur Nash. Elle la sortit avec orgueil comme si elle avait tiré de son sac à main de l’or en feuille et elle la présenta triomphalement au directeur qui la lut d’un œil rapide en murmurant : … alert… accurate… efficient… représentative…

— Oui, renchérit Caroline, je suis la correspondante du « People » à l’Anse-à-Pécot, je travaille à « La Voix des Érables », je suis journaliste.

Le directeur lui remit la lettre :

— C’est gentil ! fut tout ce qu’il trouva à lui dire.

Gentil ? Caroline en demeura pétrifiée sur son fauteuil. Gentil, l’âpre travail ! Un gentil métier, le journalisme, avec ses duretés, ses traîtrises. Et les sacrifices, des jolivetés, de la mignardise, de l’ouvrage de fantaisie !

Une main vient de la pousser dans un trou noir. Caroline sent dans le nœud de la gorge un cri qui voudrait clamer sa détresse mais il meurt là, étouffé comme en un mauvais rêve. À quoi bon ?

La voix du directeur la réveille :

— Voulez-vous m’excuser, Mademoiselle ?

D’un pas saccadé, en automate, elle parvient à la salle d’attente. Sa montre martre marque trois heures et sept minutes. L’entrevue a à peine duré cinq minutes. Quatre heures la séparent du départ du train pour l’Anse-à-Pécot.

Le choc l’a anesthésiée, elle ne souffre pas encore. Elle cherche un gîte où se terrer pour attendre l’heure de la douleur, loin du monde hostile aux vaincus.

Ce fut alors que l’image paisible du juge Dulac lui apparut comme l’asile le plus sûr.

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