Page:Guèvremont - Tu seras journaliste, feuilleton paru dans Paysana, 1939-1940.djvu/188

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Le juge leva les yeux au-dessus de ses lunettes. Il mit deux ou trois secondes avant de reconnaître Caroline mais il compensa vite son hésitation par un accueil sympathique.

Quand elle lui eut tout raconté de son voyage et de sa querelle avec Philippe, il demeura perplexe.

— C’est dommage que vous ne vous entendiez pas avec mon neveu, car il ne faut pas perdre de vue que tout métier comporte des vexations. Là ou partout ailleurs vous rencontrerez des plis et des obstacles.

— Oui, mais je ne veux pas passer toute ma vie à piétiner ainsi. Je veux réussir. Que faut-il donc pour réussir ?

— Dites-moi d’abord ce que vous entendez par réussir ?

— J’entends ce que tout le monde entend : remporter du succès, être quelqu’un dans le bon sens du mot, celle que les passants reconnaissent dans la foule et non pas être perdue comme une pomme dans un panier de pommes.

— Si c’est là tout votre idéal, permettez-vous de vous faire observer que vous n’êtes pas difficile. Les témoignages sans valeur importent donc plus pour vous que la qualité du jugement ?

Caroline voulut protester mais il l’arrêta d’un geste et poursuivit :

— Vous êtes venue à moi afin que je vous éclaire : il faut que vous m’écoutiez. Vous aviez tout en mains pour réussir dans votre village ; respectée, entourée d’amis, de parents, de voisins qui vous aimaient, vous occupiez une place de choix dans la