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CHAPITRE I


Un coin du ciel plombé… des hardes tristes encore chargées d’une eau grisâtre, incapables de s’essorer et qui attendent, pendues aux cordes à linge, l’espoir d’un souffle : c’était tout ce que Caroline Lalande pouvait voir, à travers l’entrelacs de fils, par la fenêtre de sa chambre donnant sur une cour, au bout de l’impasse.

Caroline évoqua les belles cordées de linge bleuté qui claquent comme voiles au vent, au bord de l’eau, dans la campagne qu’elle avait désertée et le dégoût de sa vie actuelle grandit d’instant en instant.

Ancienne institutrice, elle s’était crue marquée du signe de la gloire, du fait que l’inspecteur l’avait complimentée à deux reprises sur la rédaction d’adresses enguirlandées de fioritures.

Et où mieux qu’à la ville pourrait-elle pénétrer au cénacle de la culture ?

Elle gagna donc Montréal, la ville mirageuse où habitaient ceux qu’elle croyait des dieux, tels que son esprit romanesque et naïf les imaginait, dieux-auteurs que l’Art conviait à certaines heures à dispenser une prose surnaturelle, sorte de manne que des sujets-lecteurs s’arrachaient avant le jour ; dieux-critiques qui, d’une