Page:Guèvremont - Tu seras journaliste, feuilleton paru dans Paysana, 1939-1940.djvu/39

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Caroline ne se souciait pas de démêler quel sens Philippe Dulac avait attaché à son exclamation ; elle ne s’interrogeait pas pour savoir si l’Anse-à-Pécot lui plairait ; elle ne s’inquiétait pas de découvrir ce qui en faisait une ville noiraude et basse, ni ce qui ternissait la verdure des arbres, pas plus que ce qui éteignait la joie sur les visages, une chose lui suffisait : elle était journaliste. Elle possédait déjà la fierté de son métier.

Mince, de haute taille, Philippe Dulac avait le front légèrement bombé, un nez aux arêtes bien dessinées et un menton net qui lui faisaient un profil de médaille. Il donnait en tout l’impression d’être satisfait de sa personne. De ses mains surtout, fines et fortes. Le moindre geste démasquait l’intention de les mettre en valeur. Un grand seigneur des romans de Maryan, en exil à l’Anse-à-Pécot, par la faute de quelque ancêtre déchu, et qui regrette ses immenses domaines perdus à jamais !

Auprès de l’homme simple et tout ainsi qu’était Noé Dulac, son fils se révélait, aux yeux de Caroline, un esprit porté à la complication. Et suffisant. Combien suffisant et saturé de sa formation classique.

Toujours tiré à quatre épingles, il n’aurait jamais osé s’accorder un répit. Même poussé à l’extrémité par les plus grandes chaleurs, il n’usait pas du privilège d’endosser un léger gilet d’alpaga.

Sa phrase pleine d’apprêt lui ressemblait. Là où deux points auraient suffi, elle s’écartait dans les sentiers touffus d’explications inutiles et ne retrouvait jamais la route large de la simplicité. Il avait une forte prédilection pour les phrases-clichés coulées dans le moule du conformisme.