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Caroline qui était naturelle en ressentait un vague malaise, mais elle était tellement convaincue de la supériorité de son patron qu’elle s’excusait de son ignorance à elle, en disant :

— Un balai neuf ne balaie jamais bien, vous savez !

Philippe s’avérait un compagnon ordinaire, poli et pas désagréable.

Il tirait une grande vanité de sa bibliothèque. Pas un livre porté à sa connaissance par la rubrique « Ouvrages recommandés » qui n’y prît place. Un jour qu’il ajustait son nœud de cravate devant la vitre, Caroline crut qu’il cherchait un volume et elle s’approcha de lui. Avec condescendance, il sortit un Martin du Gard, un Sweig, un Green et d’un index élégant, il lui en signala deux ou trois autres.

Il en parlait d’abondance. Quand il lui offrit d’en apporter quelques-uns, Caroline fondit de joie à l’idée de frayer avec ces dieux. Cependant elle fut au comble de l’étonnement en constatant que les pages de la plupart de ces livres n’étaient même pas découpées.

De prime abord, elle avait jugé son patron : un homme méthodique. Elle en vint vite à la conclusion qu’il était plutôt un systémier. Un feu de cheminée arrivait-il ? On courait au classeur, à la lettre F. Une formule toute prête y attendait son tour de servir. Il en était ainsi de tous les événements ordinaires de la semaine. De sorte que si le journal était facile à rédiger, par contre, la lecture en était fort monotone.

Quelque part, il devait y avoir des gazettes mieux préparées que « La Voix des Érables ». Caroline s’attachait à lire et relire les faits-divers des journaux français à sa portée ; ils disaient plus en deux lignes que leur journal, dans une colonne et ils lui paraissaient savoureux à côté des