Page:Guèvremont - Tu seras journaliste, feuilleton paru dans Paysana, 1939-1940.djvu/50

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de temps à se lamenter à tous les vents.

Caroline la regardait.

Écrasée sur le plancher, une eau noirâtre dégoulinant sur ses bras rouges, avec des jets de salive aux commissures des lèvres, elle n’était pas belle à voir. Il lui semblait qu’avec ses grosses mains grasses elle égorgeait la petite sarcelle bleue. Et son rêve aussi.

Comme pour lui prêter main forte, Philippe parlait à son tour. Un billet sur un sujet aussi pâle ? Il en doutait. Et tout en parlant, il se curait les ongles avec un coupe-papier. Les femmes, dit-il, sont tout en admiration devant les pommiers en fleur. Pour sa part, il leur préférerait toujours le fruit à terme. Matière de goûts. Donc son journal était un journal sérieux. Pas de fanfreluches pour rien.

Caroline ne savait pas au juste ce qu’il voulait dire, mais elle n’eut pas le courage de répliquer qu’un journal, pour être sérieux, ne doit pas nécessairement être ennuyeux. Une fois de plus elle replia ses ailes sans laisser entendre le moindre froissement et elle s’en fut corriger des épreuves.

Elle lisait les comptes-rendus de soirées où invariablement « à minuit un succulent goûter fut servi ». D’un coup de crayon vigoureux, elle biffait, ajoutait, supprimait, mais elle avait l’esprit ailleurs. Elle se demandait si ses rêves seraient toujours aussi stériles. Aussi inutiles, songeait-elle, que les herbes folles qui poussent entre les pierres.

Sur le coup de midi elle sortit de l’atelier. Elle pausa un instant sur le perron.